Le gardien doit-il choisir un côté sur un penalty ? – Les Esthètes du Foot

Une étude effectuée sur 286 penaltys tirés dans les grands championnats européens et sud-américains, à l’Euro et en Coupe du Monde* a montré que les joueurs choisissent à 29% du temps le bon vieux tir au milieu. Et pourtant, dans les buts, les gardiens continuent 9 fois sur 10 à plonger sur les côtés quand rester au milieu pourrait paraître la meilleure solution. Toujours d’après cette étude, le gardien qui resterait au milieu aurait près d’une chance sur trois d’arrêter le penalty quand sur les côtés il en aurait plus de deux fois moins. Comment expliquer que les gardiens de buts continuent à plonger ? Enquête.

Vous êtes gardien de but et vous faites face à un joueur qui s’apprête à tirer un penalty. L’issue du match en dépend. Une fois que le ballon a quitté le sol, il lui faut entre 2 et 3 dixièmes de seconde pour atteindre le but. Vous devez donc prendre une décision avant que le joueur frappe le ballon. Que faites-vous ?

Droite ou gauche, le gardien choisit son côté

Chez les gardiens, le plongeon sur un côté semble faire partie de la norme. « Un penalty c’est comme ça, il faut choisir un côté parce que l’attaquant va en choisir un. » témoigne Johan Lapeyre, 30 ans, passé par l’ASNL et qui garde actuellement les buts de Montceau les Mines en CFA. Dans cet exercice, chaque gardien a sa propre technique, son petit truc pour déstabiliser le tireur avant de toujours plonger. « J’ai remarqué qu’il y a de plus en plus de joueurs qui attendent le départ du gardien pour choisir un côté. Moins tu leur donnes d’infos sur le côté où tu vas partir et plus tu les mets dans la difficulté. J’essaie donc vraiment d’attendre le dernier moment pour partir, mais je plonge à 100% » confie l’ancien Nancéien qui a sorti un penalty en plongeant sur le côté il y a deux semaines face à Moulins. Même son de cloche chez le jeune Yannick Tchintcho, 21 ans, qui a également posé ses valises à Montceau les Mines après avoir fait la montée en Ligue 2 avec le Red Star la saison passée : « Plonger sur un côté c’est une habitude. J’en choisis toujours un selon le joueur et son pied de frappe. Ma technique, si je veux plonger à gauche, c’est de faire un pas sur ma droite pour que le frappeur voie plus d’espace sur ma gauche, ce qui va l’inciter à tirer là. Au moment de la frappe je feinte d’aller à droite et je pars à gauche. J’ai 2-3 autres petits trucs comme ça. »

Yannick Tchintcho dans ses oeuvres pour une belle horizontale sur la gauche

Duel de feinte et d’esbrouffe, le penalty est avant tout un moyen pour le gardien de se mettre en avant. Pour le tireur en revanche, louper son penalty est un acte quasiment impardonnable. Avec environ 85% des penaltys cadrés aboutissant à un but, marquer son péno ressemble donc plus à un devoir qu’une éventualité, ce que confirme Lapeyre pour qui : « La pression est toujours plus sur le tireur que sur le gardien. Si le gardien arrête le penalty c’est un exploit. Je sais que personnellement, j’ai plus de pression sur une séance de tirs aux buts où le gardien doit jouer pleinement son rôle et en sortir que sur un penalty en cours de match. »

Le penalty tiré au milieu, sécurité ou vice ?

L’étude des 286 penaltys tirés dans les grands championnats européens, en Amérique du Sud, à l’Euro et au Mondial démontre que 29% d’entre eux sont tirés dans la zone centrale. On dit bien 29%, oui, près d’un sur trois. Pour nos deux gardiens, c’est la surprise, mais deux hypothèses peuvent expliquer cette statistique. La première, c’est que le tir au milieu serait plus facile à réaliser pour le frappeur, et donc moins risqué que de tenter un improbable ras du poteau. Il serait donc privilégié par les joueurs en manque de confiance : « Je pense que c’est quand les joueurs sont déstabilisés, ils ne souhaitent pas prendre de risques donc ils essaient de la mettre le plus fort possible dans l’axe. » avance l’ancien gardien du Red Star. La deuxième hypothèse avancée par Lapeyre tient aussi la route, notamment pour ce qui est des panenka : « Je pense qu’il y a de plus en plus de joueurs qui se disent que le gardien va choisir un côté, et en même temps les gardiens sont aussi de plus en plus performants sur les côtés. Comme personne ne se met dans l’optique de voir le gardien rester au milieu, les tireurs savent que la zone faible en face, c’est le milieu. » Cette zone faible du milieu explique peut-être que les gardiens ne restent dans la zone centrale de leur but que sur 6% des tirs, privilégiant le plongeon côté gauche (49%) ou côté droit (44%).

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Quand on s’intéresse de plus près aux statistiques d’efficacité, les chances concrètes pour un gardien d’arrêter un penalty tiré au milieu sont de 33% quand elles sont de 14% à gauche et de 13% à droite. « Dans l’axe en fait c’est plus facile. Tu as juste à mettre ton bras ou ton pied pour la sortir. » livre Tchintcho. Le penalty tiré au milieu est donc théoriquement le plus facile à arrêter, à condition de ne pas avoir hypothéqué ses chances en plongeant trop tôt : « Des fois je vois des penaltys qui sont tirés dans l’axe à 30 cm du gardien, mais si tu as fait le pas pour partir, même avec un tout petit ballon à côté tu prends le contrepied et tu es battu. » précise Lapeyre. Pourquoi les gardiens de but s’évertuent donc t-ils à plonger, sont-ils simplement prisonniers d’une mauvaise habitude ?

Personne ne dira : « il a tenté le mec qui tire au milieu »

Rester au milieu de son but lors d’un penalty ne semble pas une alternative crédible chez les gardiens. En politique comme dans le football, le centre semble plus s’apparenter à une défaut de solution qu’à un réel choix. Quand on lui demande s’il est déjà resté au milieu de son but sur un péno, Lapeyre n’a pas besoin de réfléchir trop longtemps : « Non, ça ne m’est jamais encore arrivé. Pourtant je le sais, je sais que ça peut tirer au milieu, mais je n’ai pas le réflexe, c’est instinctif. »

Instinctif peut-être, mais pas que. Un gardien qui ne plonge pas peut aussi être considéré comme un gardien qui ne fait pas l’effort, qui ne veut pas, et même si ça reste parfois la meilleure solution. Le trentenaire poursuit : « Ça n’est pas naturel en fait. Si tu vois un gardien qui reste au milieu alors que le ballon part sur le côté tout le monde va se demander « mais qu’est-ce qu’il a fait ? Pourquoi il n’a pas bougé ? » Personne ne dira « il a tenté le mec qui tire au milieu. » ».

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Ce milieu a donc du mal à passer, il n’est pas une alternative crédible pour le gardien de buts qui, s’il osait ne pas plonger, pourrait être déclaré coupable d’inaction au cas où le ballon partirait sur un côté : « J’ai déjà vu pas mal de fois des gardiens qui se sont fait remonter les bretelles par leur coach qui leur reprochait de ne pas avoir plongé sur un côté. Si tu restes vraiment dans l’axe je pense qu’il y a aussi des joueurs qui vont parler. » lâche Tchintcho, qui a sorti la bagatelle de quatre penaltys sur six la saison passée au Red Star.

L’inaction parfois favorable à l’action ?

Le problème semble donc venir d’un biais psychologique vers l’action qui voudrait que le gardien qui ne plonge pas n’ait pas fait l’effort requis pour tenter d’arrêter le penalty. Le fait de rester au milieu permet pourtant au gardien de rester sur ses appuis en couvrant près d’1/3 de la surface de son but, contre 1/9ème pour un plongeon, afin d’éventuellement pouvoir arrêter un penalty mal tiré ou un peu trop présomptueux à portée d’intervention. L’extravagant José Manuel Pinto l’avait bien compris, lui qui n’avait pas forcément grand chose à faire du regard des autres…

* Source: Bar-Eli M, Azar OH (2009) Penalty kicks in soccer: an empirical analysis of shooting strategies and goalkeepers preferences. Soccer & Society, 10:183-191.

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